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ART ET CARTOGRAPHIE

le changement d'échelle

 

Marcel Broodthaers, avec son atlas de poche intitulé : Atlas à l’usage des artistes et des militaires, ramène tous les pays à une seule page de même dimension (4 cm x 2,5 cm) le pays apparaissant comme une tache noire au milieu de la très petite page et donc la Belgique, par exemple, apparaît aussi grande que la Chine.

Ce travail sur les différents niveaux d'échelle fait partie de mes recherches. Les tableaux Cardiff, Emerald St (2018), Ukless (2019) et Cardiff Bay (en cours de réalisation) montrent que le grossissement du détail peut entraîner une perte des repères nécessaires à l'analyse.

 

l'effet de Gestalt

 

La question du niveau d’analyse auquel on se situe par rapport à la réalité est particulièrement importante pour les géographes, mais elle est aussi explorée par les artistes. En grossissant des zones à peine visibles dans le planisphère, le/la cartographe peut faire apparaître des éléments d'information précis et détaillés propres à cette région sans se soucier de l'effet de Gestalt qu'il provoque chez certain.e.s observateur.rices. L'artiste italien, Luciano Fabro, a travaillé sur cette réaction affective par rapport à la forme représentée en utilisant un très grand nombre de supports différents (ficelle, fer, aluminium, verre, etc.) pour représenter la botte italienne. 

Dans mon travail, la série Venise (1, 2 et 3) permet de jouer avec la forme caractéristique et très connue des îles de la cité lacustre. Les trois tableaux diffèrent totalement, mais la répétition du motif (le poisson) provoque chez l'observateur un effet de « déjà-vu » et favorise la multiplication des émotions, tout comme trois cartes différentes d'un même lieu (physique, économique, politique, par exemple) dialoguent entre-elles, se répondent et permettent une meilleure analyse de chacune.

 

autres passerelles

 

Mon travail, notamment la série sur les USA, peut servir à alimenter les débats soulevés par le courant de la cartographie critique, mais aussi la réflexion sur la cartographie autochtone. En effet, comme indiqué dans les premières lignes de cette courte présentation, la technique que j'utilise n'est pas très éloignée du « dot painting » des aborigènes d'Australie, et chaque œuvre achevée peut être considérée comme une carte biographique. Mais j'ai pu constater, pendant les expositions auxquelles j'ai participé, que ces cartes mentales, qui me sont propres, déclenchent chez l'observateur ses cartes mentales personnelles. En effet, pendant les expositions, les visiteurs essaient souvent de retrouver des lieux ou des éléments auxquels se raccrocher et ensuite la discussion s'engage sur leur connaissance et / ou expérience du lieu représenté.

 

une forme de logique

 

Le couple Art et Cartographie semble aller de soi.

Sur un plan personnel, la visite de la galerie des cartes de géographie du musée du Vatican a été un électrochoc certainement fondateur de ma vie artistique.

Plus généralement, jusqu’au 19ème siècle, la carte de géographie était appréhendée comme une parabole de la peinture, réduite comme elle à transposer le monde sur une surface plane.

Tout artiste est un voyageur de l'intérieur, alors quoi de plus naturel que de céder au plaisir de bâtir sa propre galerie de cartes bio-géo-graphiques ?

En quelques décénies, le numérique a entraîné la disparition des cartes murales qui ornaient les salles de classe (au profit de vidéo-projecteurs souvent éteints) et les GPS (qui placent systématiquement la voiture au milieu d'un monde fade) remplacent à présent les cartes routières qui débordaient des boites à gants. Il est temps de redonner un peu de couleurs et de folie à un monde qui en a toujours besoin.